Les Vacances

Publié le 16 Septembre 2015

Les Vacances

L’océan est calme.

Un vrai miroir.

Allongée sur le dos j’ai l’impression de flotter à la dérive depuis des heures.

Je regarde les nuages blancs dans un ciel bleu azur. Le contraste entre ce bleu clair et l’eau presque noire à l’horizon me fascine.

Le silence m’enveloppe de sa douce ouate. Quelques petits clapotis parviennent à peine à traverser ma conscience.

J’aurais voulu entendre des cris, être submergée par des vagues en fureur, être ballotée, secouée, tout sauf ce silence de mort.

Mes yeux sont secs. Je nage sur mes larmes.

Pourquoi moi ?

Je me sens coupable.

J’ai envie de mourir.

Mes enfants me croient déjà morte sans doute à l’heure qu’il est.

Ils sont grands, adultes, ils s’en remettront.

Bon sang si seulement je pouvais couler. Mais non. Je flotte comme une baleine.

Je souris en pensant à ma fille enfant. Nous étions dans le jardin, dans la piscine hors sol. Je portais un maillot noir et blanc. Les enfants me sautaient dessus en criant « sauvez Willy ! Sauvez Willy ! » Eh bien Willy aimerait bien ne plus flotter.

Et si je m’endormais ? Je me réveillerais peut-être dans les Caraïbes ? Au soleil, sur une plage de sable fin à l’ombre d’un cocotier. Quoique non. Avec ma chance, je serais foutue de recevoir une noix de coco sur la tronche.

Maintenant, je commence à avoir un peu froid. L’hypothermie, apparemment c’est sans douleur. On s’endort pour ne jamais se réveiller.

En tout cas, je suis contente qu’il n’y ait pas de requins. Manger des poissons j’aime bien, me faire bouffer par l’un d’entre eux très peu pour moi.

Je divague. Ne plus penser. Ne plus souffrir. Ne plus revivre cette journée en boucle.

Les images reviennent. Je ferme très fort les yeux pour ne pas les revoir. Ça marche, je vois des étoiles, des éclairs dans le noir.

Le vent se lève. Je frissonne. La fin approche ?

Non pas encore.

Une vague me surprend. Je bois la tasse. Je panique. Vite je me mets sur le ventre et je fais quelques brasses. Ça me réchauffe et j’en profite pour regarder de nouveau autour de moi.

De l’eau.

De l’eau à perte de vue. Le soleil. Les nuages. Pas un oiseau. Pas une branche. Pas un navire à l’horizon.

Avant j’avais l’impression d’être seule. Mais ce n’était pas la vraie solitude. Le vide de l’absence humaine est indicible.

Quand ça arrive d’un coup comme ça, contrairement à l’eau de mer ça nous submerge.

J’ai encore la sensation de vide dans le ventre. Ce guili-guili qu’on ressent quand on tombe à toute vitesse du haut d’une montagne russe.

Tout est arrivé si vite. Nous étions si heureux de partir en vacances. Rejoindre les enfants au Canada pour partir ensuite aux Mexique avec eux visiter les pyramides.

On avait voulu se faire plaisir et prendre l’A380. Le Beluga. Etre assis à l’étage et profiter du service de la première classe pour célébrer nos trente ans de mariage.

L’avion était bondé. 750 passagers plus l’équipage. Il nous avait semblé que l’embarquement durait une éternité. Français râleurs comme il se doit nos compagnons de voyage ne cessaient de rouspéter.

L’avion était en retard pour le décollage. Au bout d’une heure dans la cabine surchauffée, le pilote a pris la parole pour s’excuser et dire qu’en raison d’un problème de climatisation le vol allait être retardé de deux heures.

Nous avons été invités à descendre de l’avion et à regagner une salle d’attente ou des rafraîchissements nous ont été servis. Nous avons prévenu les enfants. Heureusement nous avions prévu quelques jours à Toronto avec eux avant notre vol pour le Mexique. Nous étions impatients de les revoir. Ravis de pouvoir reprendre des vacances en famille après mes longues années de chômage.

Finalement l’embarquement eut lieu normalement. La climatisation fonctionnait à nouveau. Confortablement installés en première nous sirotions une coupe de champagne pendant que l’avion atteignait sa vitesse de croisière. Après 2 heures et demi de vol, le pilote prit de nouveau la parole. Sa voix était grave. En raison de problèmes techniques l’avion devait faire demi-tour.

Une tension énorme se fit sentir dans tout l’avion. Chacun regardait son voisin avec un regard inquiet.

La jeune maman de l’autre côté de l’allée serrait son bébé contre elle.

Le pépé qui s’était levé une dizaine de fois depuis le départ du vol revenait en vitesse s’assoir auprès de son fils.

Les hôtesses jusqu’à présent souriantes et dragueuses avec les hommes d’affaire étaient plus réservées et se voulaient rassurantes.

Le clignotant « attachez votre ceinture » venait de passer au rouge.

A peine nos ceintures attachées l’avion est tombé.

D’un coup. D’un seul.

Un grand guili-guili dans le ventre.

Puis au dernier moment une manœuvre du pilote pour relancer les moteurs permit à l’avion d’amerrir quoique brutalement.

Froissement de tôles.

Cris.

Hurlements.

Appels au secours.

Indemne mais un peu sonnée, je me tournai vers mon mari. Il était mort sur le coup. Je me détachai pour le serrer dans mes bras. Les larmes aux yeux. Un cri silencieux au fond du cœur.

Une porte de secours avait été ouverte par le personnel naviguant.

L’eau rentrait à flots dans l’avion.

Je m’en foutais. Je voulais mourir moi aussi. Rester avec lui. Toujours.

L’avion s’enfonçait.

L’eau montait.

Les cris augmentaient.

Je m’en foutais.

Je le tenais dans mes bras. Il était resté attaché.

Subitement l’avion bascula. Piqua du nez. L’eau qui était rentrée dans l’habitacle reflua d’un coup vers la porte ouverte.

La vague m’arracha à lui et je me retrouvai sous l’eau, les yeux piqués par le sel à regarder l’avion sombrer dans les profondeurs.

Rapidement la vie se rappela à mon bon souvenir.

Nage.

Remonte.

Respire.

Non ! Non ! Criai-je en faisant surface tout en aspirant une grande goulée d’air frais.

Non… Non…

Non…

Quelques survivants qui comme moi avaient échappé au crash et au naufrage de l’avion ont nagé, crié, pleuré puis cessé de vivre depuis longtemps.

Seule, je flotte encore à la dérive.

Mes yeux sont secs. Je nage sur mes larmes.

Pourquoi moi ?

Je me sens coupable.

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Rédigé par Michelle@L'Arbresle

Publié dans #Nouvelles

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Commenter cet article
P
Cela ressemble fort a un un scénario de film, film tragique. Les personnes qui ont vécu de tels drames ont ce sentiment de culpabilité, ils témoignent régulièrement de l'injustice d'être en vie. Pour toi qui a écrit cette histoire cela devrait être différent.., pourtant, tu semble ressentir une réelle culpabilité, comme si cela était vrai.., le ressenti des évènements sonne terriblement juste. Il faut être dans un état d'esprit particulier pour écrire cela.., ressentir un mal-être profond...
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M
Bonjour Patrick, l'idée de cette histoire m'est venue à la fin des vacances car toute la partie concernant le vol retardé et le retour sur l'aéroport est arrivée à mon fils cet été. Le reste n'est que fiction. J'ai lu un livre cet été où il y avait également un accident d'avion où tous les passagers étaient morts et seule une personne qui avait quitté l'avion avant le décollage en avait réchappé. L'anecdote avec ma fille est vraie. Je ne coule pas. Je peux flotter pendant des heures sur le dos sans m'enfoncer dans l'eau. J'imagine que pour une personne à qui cela arriverait se sentirait coupable de vivre. Mais rassure toi, cela n'a aucun rapport avec la vie réelle. Amicalement, Michelle